De la maison des morts
Leoš Janáček
Opéra en trois actes et deux tableaux créé le 11 avril 1930 au Théâtre National de Brno
Adaptation par le compositeur lui-même d’un roman de Dostoïevski
Direction musicale Alejo Pérez
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Malgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Chorégraphie Claude Bardouil
Vidéo Denis Guéguin
Dramaturgie Christian Longchamp
Interprètes :
Alexandre Petrovitch Goryantchikov Sir Willard White
Alieïa Pascal Charbonneau
Filka Morosov (Louka Kouzmitch) Stefan Margita
Le grand forçat Nicky Spence
Le petit forçat / Le forçat cuistot / Tchekounov Ivan Ludlow
Le commandant Alexander Vassiliev
Le vieux forçat Graham Clark
Skouratov Ladislav Elgr
Le Forçat ivre Jeffrey Lloyd Roberts
Le forçat jouant Don Juan / Le forçat forgeron Ales Jenis
Un jeune Forçat Grégoire Mour
Une prostitiuée Natascha Petrinsky
Kedril John Graham-Hall
Chapkine Dmitry Golovnin
Chichkov / Le pope Karoly Szemeredy
Tcherevine / Une voix de la steppe Alexander Gelah
Un garde Brian Bruce
Un garde Antoine Saint-Espès
Lorsqu’il meurt le 12 août 1928, Leoš Janáček laisse son dernier opéra inachevé. Ce De la maison des morts, tiré du roman de Dostoïevski, il y pensait depuis plus d’un an, malgré des forces déclinantes. Il écrit qu’il veut « aller vers la vérité, la parole dure des éléments » et trouve l’univers si rude de l’écrivain proche de cet objectif, avec ce qu’il entend décrire de cette « étincelle divine » qui se trouve dans chaque être humain, même dans les situations les plus avilissantes. Comme pour presque tous ses opéras, seul ou accompagné, il rédige lui-même le livret, cette fois en russe et en tchèque. Il avance très vite et annonce à sa muse et ultime amour Kamila Stösslova qu’il a terminé au tout début de la fatale année 1928. Mais comme souvent, Janáček reprend, révise, corrige pendant des mois. Il part fin juillet en vacances avec ses feuillets sous le bras et meurt quelques jours plus tard. Le dernier acte n’est pas fini.
Les élèves et disciples du compositeur se trouvent face à une partition qu’ils ne comprennent pas bien et pensent donc qu’il faut la terminer mais surtout réviser le texte comme la musique. L'orchestration est enrichie, épaissie, et le dernier acte est complété par un grand hymne à la liberté chanté par tous les protagonistes à partir d’un matériau musical du 1er acte. C’est cette version qui est créée au Théâtre national de Brno le 12 avril 1930.
S’ensuivent plusieurs nouvelles versions qui se rapprochent de la vision initiale dépouillée et acérée du compositeur. Mais c’est l’édition critique supervisée par Charles Mackerras, l’un des plus grands spécialistes de Janáček, et le musicologue John Tyrrell, après avoir décortiqué tout le processus créatif de leur héros, qui livre la version qui fait autorité aujourd'hui.
Résumé
Dans un camp disciplinaire sibérien, une communauté de prisonniers se voit contrainte au travail forcé dans des conditions difficiles. Certains parviennent cependant à s’échapper de ce groupe impitoyablement harcelé par les gardes : l’aristocrate Alexandr Petrovič Gorjančikov, humilié et torturé en tant que prisonnier politique, qui se liera ensuite d’amitié avec le jeune Tatar Aljeja ; Luka Kuzmič qui raconte comment il a assassiné un officier dans un autre camp et la terrible punition qu’on lui a infligée en représailles ; le fragile Skuratov qui a tué le vieillard auquel était mariée Luisa, sa bien-aimée ; Šiškov qui a lui aussi été condamné pour crime passionnel car son Akulka semblait toujours aimer l’homme qui l’avait déshonorée par de fausses accusations. Et lorsque Gorjančikov est libéré de façon inattendue à la fin, les prisonniers rendent aussi sa liberté à leur aigle en cage.
Les impressions du Président de l'association des Amis de l'Opéra Grenoble :
Toute autre ambiance que celle d’il y a quinze jours au Regio de Turin ("Butterfly") pour cette seconde sortie à l’Opéra de Lyon, ce dimanche 27 janvier 2019.
En effet, un petit groupe d’Amis était venu découvrir le dernier opus du Maître tchèque, "De la maison des morts", inspiré par le récit du romancier russe Fédor Dostoïevski relatant sa captivité en camp d’internement politique en Sibérie. Récit intitulé "Souvenirs de la maison des morts", paru en 1862 et basé sur plusieurs histoires de prisonniers que l’on retrouve en partie assez fidèlement dans l’opéra de Janacek.
Œuvre d’un abord austère, sans véritable action dramatique, centrée sur la vie carcérale des prisonniers, en une certaine unité de lieu, de temps, et qui malgré ses trois actes se joue d’un trait sans entracte : durée d’environ 1h45 !
Œuvre nécessitant une grande curiosité envers un répertoire différent, rarement donnée et dont il fallait saisir l’opportunité proposée par l’Opéra de Lyon. D’autant que la production s’annonçait de qualité.
A la mise en scène, une des stars du moment, le polonais Krzysztof Warlikowski, à la réputation sulfureuse, capable de séduire comme de scandaliser !
Sur le vaste plateau dénudé de Lyon, un immense espace évoquant une salle de sport, une cour de prison, une salle de jeu, de détente, un lieu communautaire, où les prisonniers vaquent à leurs occupations quotidiennes.
D’abord, un seul homme, jeune, jouant au basket, puis bientôt accompagné de camarades esquissant des mouvements de "street dance" moderne, puis les prisonniers eux-mêmes, désœuvrés , déambulant sans but précis dans l’espace carcéral. Sur le côté gauche, un grand cube vitré, mobile, tout à la fois bureau, salle de surveillance, d’accueil, de scène, qui viendra se positionner en différents points du plateau au long du déroulé du récit.
Warlikowski a donc misé sur le réalisme des lieux, se coupant de toute référence au goulag soviétique initial. Nous sommes de nos jours dans une triste prison, un huis clos, où rôdent des hommes en tenues négligées, ordinaires, en salopettes, en baskets, fatigués, désabusés, parfois tendus, agressifs. Cette vision pour le moins imposante, voire impressionnante de crudité, ne manque pas de crédibilité. Elle offre un espace aux récits successifs des prisonniers de droit commun, contrairement au personnage central, épigone du romancier, qui est lui prisonnier politique, et pas forcément le bienvenu : tension entre classes sociales et niveaux d’éducation très différents.
Vont se succéder les quatre grands récits centraux du livret où chaque narrateur va remonter à l’origine de son incarcération, aux causes de celle-ci, la plupart du temps criminelles, violentes. Mais - et là réside le sens de cette œuvre voulu par Dostoïevski et repris par Janacek - nous pouvons cependant y trouver une humanité flétrie, déchirée, refoulée, permettant d’accorder à ces êtres condamnés une certaine valeur humaine universelle, voire de rédemption, rejoignant en cela la célèbre citation du compositeur :
« En tout être humain, réside une étincelle divine ! »
Warlikowski va dérouler les narrations en autant de tableaux réalistes, parfois plus débridé avec la Fête des prisonniers, en une mécanique de précision capable de faire évoluer tant de personnages simultanément et réglée par une direction d’acteurs-chanteurs très construite et très cohérente. Seul apport de fantaisie, la présence des danseurs, lianes élancées et souples, véritables acrobates, symboles de l’espoir de liberté encore ancré dans l’esprit des prisonniers et métaphore de l’aigle captif du roman d’origine, aigle libéré à l’ultime note de la partition.
Que des personnages masculins, à l’instar du poignant "Billy Budd" de Benjamin Britten (22 marins sur un navire), sauf le rôle secondaire d’une prostituée lors de la Fête.
Certes, la proposition de Warlikowski n’a rien de scandaleux comme on aurait pu le redouter, au contraire. Plutôt lisible, linéaire, cohérente, crue, agressive, parfois cruelle, bien entendu, mais manquant de beaucoup de chaleur humaine, de lyrisme, à l’encontre de la superbe partition de Janacek déployant un tapis orchestral soyeux, éclatant, filé, tendu, scandé, glaçant puis brûlant ! Dommage d’avoir ainsi gommé cette qualité centrale de l’œuvre et qui était l’une des raisons principales pour lesquelles Janacek a retenu ce récit plus philosophique qu’il ne parait. Et puis, ce metteur en scène, talentueux au demeurant, tombe dans ce piège du vouloir "faire vrai" en éparpillant l’action en une multitude de jeux parallèles qui détournent la concentration.
Il faut que ça bouge, que ça s’active !
Nos Amis furent impressionnés et touchés par la force de cette représentation, de cette musique profondément lyrique au sens dramatique du terme. Le sujet déclenche une vraie réflexion sur l’humanité ! Pour le moins !
Sujet loin d’être anodin, portant sur l’une des grandes déviances de l’humanité !
Mais, dire que nous fûmes émus, ou emportés par le souffle de cette mise en scène ? Pas si évident.
Plutôt par la qualité et l’implication des interprètes et la beauté de l’orchestre !
Vous avez toute la distribution des nombreux personnages dans la présentation détaillée de l’œuvre.
Mais, l’on peut citer la grande présence scénique de Sir Willard White, basse superbe, malgré le peu de chant de sa partition mais incarnant avec gravité et humanité le prisonnier Goryantchikov jeté dans la "fosse aux lions" et, à l’instar du romancier, y trouvant cependant matière à écouter, à comprendre, ses congénères.
Mention aussi pour le jeune ténor Pascal Charbonneau en Alieïa, fragile détenu, enjeu des moqueries et protégé de Goryantchikov qui lui apprendra à lire et écrire.
De belles voix présentes, sonores, pour incarner ces êtres perdus, damnés, en de longs récitatifs redoutables de complexité.
Le Chœur traditionnel était mêlé aux protagonistes comme des détenus ordinaires. Là aussi, belle musicalité.
Dans la fosse, le talentueux orchestre de l’Opéra. Musicalité, richesses sonores, éclats, brillances, mais aussi tensions, cris, et douceurs ! Du bel ouvrage !
A sa tête, un jeune chef, Alejo Perez, qui a su tirer toute cette fabuleuse palette de la phalange lyonnaise.
Bien nous en a pris de tenter l’expérience d’un répertoire nouveau. Mais, nous avions confiance en l’indéniable génie musical du grand Janacek : souvenez-vous des chocs émotionnels de "Jenufa" au Carlo Felice de Gênes en 2003 et de "Katia Kabanova" ici même à l’Opéra de Lyon en 2005.
Maison reconnue et saluée pour sa diversité de répertoire et de découverte.
Alain GUIPONT
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