Manon Lescaut à Turin

Les impressions d'Alain Guipont, Président des Amis de l'Opéra Grenoble :

 

Sortie turinoise très agréable, par un ciel assez ensoleillé et surtout une douceur très printanière. Ville toujours animée et plaisante. Du monde également l’après-midi au Regio pour la "Manon Lescaut" de Puccini, donnée dans une mise en scène de Jean Réno, datant de 2004, reprise et transformée ici par Vittorio Borelli. "Manon" est ici chez elle car l’œuvre y fut crée en 1893.

 

Un premier  acte qui nous fit craindre une représentation fort routinière, sans grande âme, un peu décousue. Acte de présentation des personnages au milieu d’un décor très conventionnel de taverne à l’ancienne. Précisons que la musique du jeune Puccini semble déroutante, se chercher, partir un peu en tous sens.

 

Mais…très vite, le Maestro s’est ressaisi et sa musique, affirmée et construite et passionnée, a porté la mise en scène devenue elle aussi construite, théâtrale, vers un final bouleversant !

 

Deuxième acte plus flamboyant, dans une imposante salle de palais plutôt rococo, très proche de celle du "Chevalier à la Rose" de Richard Strauss, où se déroule un intéressant jeu de scène entre une Manon coquette et capricieuse et sa cour de domestiques et intrigants. Mais, De Grieux revient et leur étreinte retrouvée provoque le drame, à savoir l’arrestation de Manon par son mentor Géronte, les surprenant en plein ébats. Manon surprise volant les bijoux est emmenée par les gardes et De Grieux est sauvé in extrémis par Lescaut.

 

Troisième acte poignant dans le port du Havre, avec un décor  de forteresse rude côté jardin, barrant un horizon flanqué de l’étrave du navire chargé d’emporter les condamnées vers leur triste destin en Amérique. Le tout nimbé d’une lumière froide et bleu. Là le drame se noue avec l’appel des prostituées condamnées, cortège de  jeunes femmes rebelles et fières, maltraitées par les hommes. Parmi elles Manon, désespérée, qui peut malgré tout revoir son aimé présent, venu pour tenter en vain de la faire libérer. Duo émouvant, au point de décider le Capitaine du navire à accepter Des Grieux à son bord, aux côtés de Manon.

 

Quatrième et ultime acte, grand ouvert sur un espace totalement dénudé et désolé, aride, sous une lumière crue. Espace tragique sur lequel vient mourir une Manon exténuée, assoiffée, et torturée de remords, refusant une mort solitaire si sinistre et injuste. Elle rendra son dernier souffle musical et sublime dans les bras de son aimé désemparé. Manon est allé déterminée au bout de son chemin. Final très poignant qui a ému l’auditoire. Rideau !

 

Le tout porté par un orchestre du Teatro Regio éblouissant de maîtrise et de musicalité théâtrale sous la baguette de son chef, le magistral Maestro Gianandrea Noseda, décidemment un très grand chef d’opéra salué dans le monde entier. Témoin, le magistral et merveilleux "intermezzo" orchestral entre le 2ème et le 3^ème acte ! Que Turin puisse le garder encore très longtemps malgré les difficultés financières qui menacent les maisons d’opéras en Italie ! Situation critique dénoncée en lever de rideau par une délégation du personnel.

 

Côté voix : un solide duo de chanteurs chevronnés, certes, mais sans doute trop âgés pour la jeunesse des personnages. Pas toujours très à l’aise dans certains jeux de scènes plus passionnels.

Dans le rôle titre, la soprano Maria-José Siri s’est affirmée au fur et à mesure de l’œuvre comme une Manon sensible et émouvante, manquant peut-être de folie, de révolte. Sa grande scène finale et tragique fut chantée avec sensibilité et retenue, sans effet de pathos inutile.

Face à elle, un Des Grieux solide en la personne du ténor chevronné Grégory Kunde, à la vocalité toujours éclatante et nuancée, réussissant  par la voix à gommer sa stature d’homme mûr pour un rôle de jeune homme.

Belle projection de la voix encore rayonnante et prononciation impeccable de la langue italienne.

 

Avec eux, le Lescaut honnête du baryton Dalibor Jénis, manquant un peu d’engagement scénique.

Le solide Géronte de la belle voix basse de Carlo Lepore, assez impressionnant d’autorité.

Rien à dire des divers "comprimari" très honorablement interprétés.

Saluons encore la grande qualité musicale des Chœurs du Teatro Regio, qui jamais ne nous déçoivent.

Beaux applaudissements chaleureux et justifiés au tomber de rideau !

 

Nous quittâmes les lieux ravis et émus.